Les enfants des rues, ne vous y trompez pas, la rue n’a pas d’enfants. Cette expression qualifie les enfants qui, pour des raisons telles que la pauvreté ou l’abandon, ont trouvé refuge dans la rue. Ce sont ces enfants que la plupart des citoyens évitent aux coins des rues, ces enfants auxquels l’enseignement du Matthieu 7 verset 7 semble ne pas s’appliquer. Entre préjugés et violences, les enfants des rues sont confrontés à de nombreux dangers. Nous avons approché les enfants des rues de Yopougon-Antenne Maroc afin d’entrer en immersion dans leur réalité quotidienne.
Dans les rues animées de Yopougon Antenne-Maroc, situées à Yopougon, une commune d’Abidjan en Côte d’Ivoire, Bamba Ysouf, un garçon de 14 ans et enfant de la rue, mène une vie où chaque jour, il mendie pour pouvoir avoir quelque chose à se mettre sous la dent. Il a déjà connu l’école, mais la vie à la maison avec la femme de son père était insupportable. Il était traité différemment, contraint de faire le ménage pendant que les autres enfants allaient à l’école. En manque de contact avec son père, il décide donc de prendre le périlleux chemin de la rue.
« Mes parents me manquent depuis que je suis dans la rue, » avoue-t-il. Dans la rue, Bamba Ysouf est obligé de mendier auprès des passants pour pouvoir vivre. À défaut de recevoir à manger et à boire, il reçoit des injures de la part des passants.
« Il y a d’autres qui nous insultent, d’autres qui nous donnent à manger, d’autres qui nous donnent à boire. Parfois, il y a d’autres quand tu leur demandes de l’argent, eux ils vont te cracher dessus, ils vont t’insulter. C’est dur de vivre sans l’argent. On est là, on se débrouille. Le jour où on en a, c’est Dieu, le jour où on n’en a pas aussi, c’est Dieu. On est obligé de faire des choses malhonnêtes pour gagner de l’argent. Ici aussi, il y a des enfants de 10 ans, 11 ans qui sont là, on se débrouille, on est ici, » soutient-il.
Dans la rue, ce jeune garçon de 14 ans a dû affronter plusieurs difficultés à en perdre son innocence. D’ailleurs, c’est avec une grande dextérité qu’il nous révèle qu’il a un penchant pour les substances chimiques: « Moi, je fume de la drogue mais je ne prends pas de Kadhafi, » déclare-t-il.
Malgré les circonstances, Bamba Ysouf garde l’espoir de réaliser son rêve qui est de devenir footballeur professionnel.
Le plus grand du groupe nommé Willy, âgé seulement de 16 ans, affronte les réalités de la rue avec un peu plus de courage. Il refuse de mendier. Pour survivre, il lave des voitures pour gagner de l’argent. Comme Bamba, il a déjà été à l’école, mais un problème familial a changé sa vie et l’a poussé à se réfugier dans la rue.
« Moi, je partais à l’école, je faisais tout mais je ne sais pas ce qui s’est passé à la maison et puis je suis venu dans la rue. Quand mon papa m’a frappé, je suis venu dans la rue, j’ai pris ses 100 milles et puis j’ai avancé à Abidjan. Quand je me suis retourné là-bas (dans sa famille), on dit qu’il est mort. C’est après ça que j’ai fini dans la rue, » raconte-t-il.
Ce courageux garçon, malgré le combat quotidien qu’il mène pour rester en vie, est victime des étiquettes associées aux enfants des rues: « Je ne comprends pas, ils font comme s’ils n’avaient pas d’enfants à la maison. Eux, ils vont nous traiter de voleurs et puis c’est normal parce qu’il y en a d’autres parmi nous qui vont voler. Donc, eux, ils nous traitent de voleurs aussi, » dit-il. Au lot de ses difficultés, s’ajoute comme pour le premier, le problème des substances chimiques : « Si tu ne fumes pas et que tu veux gagner de l’argent dans la rue, tu vas gagner mais ce ne sera pas facile. La drogue, la cigarette, Kadhafi. Les fausses choses, tout ça, on a rencontré ça dans la rue. Moi, j’ai arrêté tout. Je ne fume pas, je ne prends rien. »
Malgré toutes ses difficultés, il ne se laisse pas aller par la haine et garde de bons sentiments. Sa joie se trouve dans sa famille de la rue où règne le partage selon lui. « Nous sommes tous dans la joie ici. Si l’autre a quelque chose, s’il veut donner à l’autre, il donne. »
Son rêve est de travailler dans l’agro-pastorale.
Comme dans tout groupe au sein d’une société, il existe un chef. À Yopougon Antenne Maroc, les enfants des rues ont pour chef de groupe Ange, âgé de 17 ans. Celui-ci vit dans la rue depuis l’âge de 7 ans. Il mendie pour survivre et cherche du travail. Comme avec les autres, Ange nous raconte le récit poignant de son ancienne vie qui l’a conduit dans la rue.
« À la maison, ma maman était gentille, mais mon papa n’était pas gentil avec moi. Il est méchant. Il a mis mes petits frères à l’école, moi il m’a mis à l’école, je n’ai pas dit non. Mais comme j’ai dit que je ne voulais plus aller à l’école, il dit que moi, il ne peut plus rien faire pour moi. Donc, il m’a laissé comme ça. »
Il nous avouera d’ailleurs que ses parents lui manquent. Son réconfort, il le trouve dans sa nouvelle famille dont il est le chef : « On est en famille ici donc quand on est là, on est content, on est en famille, » affirme-t-il.
Loin du cocon familial, la vie dans la rue est dure. Les enfants qui y vivent sont exposés à la faim, à la maladie, aux abus et à la violence. La drogue peut leur permettre d’oublier leurs problèmes pendant un certain temps ou leur donner du courage. Dans la rue, les plus innocents, sans éducation ni soutien, rentrent très rapidement dans la tendance du groupe et se mettent très tôt à inhaler des substances interdites pour leur âge. Si cela est choquant d’entendre des enfants de 14 ans et 16 ans avouer être enclins à la drogue, cela est encore plus choquant d’entendre, dans les propos de leur chef, que des enfants encore moins âgés y sont adeptes : « Ici, les petits de 6 ans, 7 ans, eux, ils avalent les comprimés à cause de la rue. Pourtant, si on était à la maison ou dans un coin où ils sont encadrés, on ne pourrait pas faire ça. Mais dans la rue, on est sans défense, on est obligé de faire ça parce que si tu ne le fais pas, tu ne peux pas bien chercher ton argent. Ici, on est obligé de faire tout ce qui n’est pas bon pour gagner de l’argent. Même si la nuit, on vient nous chercher, on nous dit d’aller faire un faux truc, on va partir, » affirme-t-il
Les enfants des rues de Yopougon Antenne Maroc, hormis les miettes qu’ils reçoivent des passants, peuvent souvent compter sur l’aide des ONG : « Souvent, eux-mêmes ils viennent nous donner à manger, ils donnent des habits, » déclare Ange.
Malgré les défis, il reste optimiste et compte s’imposer dans la rue. C’est en tant que leader qu’il conclut ainsi : « Nous, on n’a pas peur, nous, on est CHAMPIONS DANS LA RUE. »
C’est entre empathie et compassion que nous quittons ces jeunes enfants. Un peu plus loin, nous croisons des enfants du même groupe mais plus jeunes que ceux du précédent. Alors qu’il nous avait été décrit, dans notre premier échange, une image d’enfants des rues plutôt joyeux et libres de faire leurs propres choix entre eux, ces enfants plus jeunes que nous approchons par la suite nous apprennent une réalité tout autre de ce qui se passe entre les membres d’un même groupe vivant dans la rue.
LE VOILE DE L’INJUSTICE
Depuis 2016, Yacou, âgé de 13 ans, vit dans les rues de Yopougon. Attiré par les enfants des rues qui lui ont décrit une image idéaliste de la rue, il a décidé de quitter sa maison pour y vivre.
« Avant j’étais à la maison maintenant je venais demander de l’argent, on me donnait. Moi j’ai connu les gens ici. Ils ont commencé à me dire qu’ici c’était chic, j’ai dit d’accord je vais revenir. Je suis parti, le lendemain je suis revenu, je ne suis plus parti à la maison encore, » affirme-t-il.
Cet enfant a trouvé refuge dans la rue avec des amis plus âgés et moins âgés qui sont dans la même situation que lui. Cette alliance entre ce groupe d’enfants des rues, dont on pourrait croire associer l’expression française « À la vie à la mort« , cache une réalité tyrannique. Cet enfant de 13 ans, qui depuis le début de notre entretien était plutôt joyeux, prend tout à coup une mine fermée et sérieuse pour nous dévoiler les violences et les vols qu’ils subissent de la part des plus grands, qui ne font que pourrir encore plus leur vie.
« Les grands avec qui vous venez de parler, quand ils viennent nous demander de l’argent et puis on dit qu’on n’a pas l’argent, eux ils disent qu’ils vont nous frapper et puis ils prennent tout ce qui est sur nous. C’est un tonton qui prend notre défense. Il les frappe et puis il prend notre argent pour nous donner. Mais quand il n’est pas là vers minuit c’est ça, ils viennent prendre l’argent avec nous, » affirme-t-il. Plus étonnant encore, il nous confie avoir subi des violences la veille de notre reportage, de la part de Willy, un des enfants des rues que nous avons rencontré en amont, à cause de la somme de 100 FCFA.
« Il m’a frappé au cyber jusqu’à il a déplacé ma main, ils ont tiré jusqu’à ce que ce soit revenu. À cause de 100 francs, il m’a demandé, moi j’ai dit je ne donne pas, à cause de ça, » dit-il d’un air découragé.
Yacou a également été victime de violences, ayant été frappé et blessé à la main pour une somme de 100 FCFA.
Hamed, 15 ans
Le constat est pareil chez Hamed. Perdu dans la rue à Micao depuis 2011, Hamed a trouvé refuge à Yopougon. Comme David, il dénonce d’une voix tremblante, les fouilles nocturnes et les vols commis par les plus grands.
« Même la nuit quand on dort, ils viennent nous fouiller ils prennent tout notre argent souvent ils déchirent notre caleçon. Si on dort avec l’argent sur nous, eux ils viennent et puis ils déchirent notre poche. Souvent eux ils mettent leur main dans notre poche et puis ils prennent. Nous on est en plein sommeil on ne peut pas savoir. Ils nous frappent, ils nous tapent. Ils nous forcent à donner. Ce qu’ils font n’est pas bon. Souvent eux ils n’ont qu’à arrêter. Eux ils sont plus grands que nous, on ne peut rien faire, » confie-t-il.
Ces témoignages mettent en lumière l’injustice subie par ces enfants, souvent victimes de vols et de violences de la part des plus grands. Lors de notre reportage, nous avons été témoins d’un de ces actes, lorsque l’un des plus âgés a vidé la poche d’un des enfants des rues et lui a dérobé la somme de 500 FCFA. Une situation quotidienne pour ces enfants, qui vivent dans la peur et l’incertitude. Malgré tout, ils espèrent avoir un avenir meilleur. Yacou rêve de devenir footballeur. Quant à Hamed, il pense à embrasser la carrière de mécanicien.
ADICO Paul