Dès son plus jeune âge, Mondesir Kim a été confrontée à la dépression, un sujet encore tabou en Côte d’Ivoire. Un quotidien difficile et des relations familiales compliquées font partie des événements qui ont marqué cette jeune femme dès sa plus tendre enfance. Mondesir nous a livré un récit poignant, dans lequel elle raconte l’histoire de son enfance brisée par la dépression.
Comment a commencé votre expérience avec la dépression ?
« La dépression chez moi a commencé déjà à mon bas âge, entre 10 et 11 ans. Cela a débuté avec une affaire de famille. »
Avez-vous su tout de suite que vous étiez en dépression ?
« Non, je n’ai pas su que j’étais en dépression parce que j’étais encore très petite. Je ne savais pas vraiment ce que le mot « dépression » signifiait. Je ne sais pas dans quel état d’esprit j’étais, mais j’étais franchement très à l’ouest. J’étais profondément triste, au point de ne plus comprendre le mot « joie ». J’étais dans une autre dimension, tout me paraissait comme du n’importe quoi, tout me paraissait à l’envers. Tout me paraissait mal et néfaste. »
Y avait-il des éléments de stress dans votre vie qui impactaient votre quotidien ?
« Dès mon plus jeune âge, mes frères et moi nous disputions constamment. Cela créait des tensions, surtout lorsque je voulais exprimer mes sentiments ou me plaindre. Mes parents me disaient souvent de me taire et que je n’avais pas le droit de parler de mes frères. De plus, à l’école primaire, je n’étais pas la plus studieuse, contrairement à mes frères. Je n’avais donc pas trop le droit à la parole. Ça me stressait parce qu’à chaque fois que j’allais à l’école, je me disais qu’il fallait que je sois meilleure, sauf que mes capacités n’étaient pas à la hauteur. Je me débrouillais juste. Aussi, je me souviens d’avoir été harcelée à l’école, sans même savoir pourquoi. C’était vraiment des périodes catastrophiques au primaire. »
Qu’est-ce qui manquait dans votre vie à ce moment-là ?
« Ce qui me manquait, c’était la confiance en moi. Mes parents ne m’avaient jamais dit qu’ils étaient fiers de moi, et j’avais besoin de cette reconnaissance, surtout compte tenu de mes efforts à l’école. De plus, je ressentais un manque d’amour. J’avais l’impression de ne pas être aimée du tout. »
Comment vos parents et votre entourage ont-ils réagi face à votre situation ?
« Mes parents n’étaient pas conscients de mon état, et mes proches non plus. Ma mère est partie en Europe quand j’avais 9 ans, et c’est seulement à mes 15 ans que j’ai commencé à me confier à elle. Elle m’a tout de suite comprise et elle a essayé de me parler, de me rassurer. »
Qu’est-ce qui a provoqué chez vous l’envie de faire des tentatives de suicide ?
« Déjà, j’étais très enfantine, je ne savais pas ce qu’était la mort et je m’en fichais carrément. Moi, je me sentais super triste, je ne voulais plus vivre parce que je me disais que si c’était pour vivre comme ça, je ne voulais pas. Je ne voulais pas parce que ça ne servait à rien de vivre et d’être comme ça. La première fois que j’y ai pensé, je n’ai pas réfléchi, je suis montée sur la dalle et je me suis dit voilà, je me lance et puis c’est fini. Toute cette tristesse va s’envoler et je partirai tranquillement en paix. »
Est-ce que votre état a impacté vos relations avec votre entourage ?
« Oui, car je me suis éloignée de mes amis, enfin de ceux qui me considéraient comme telle. Que ce soit ma famille ou mes amis, je m’éloignais de tout le monde. Je pensais que je n’étais pas une bonne personne et que ma tristesse les contaminerait ou les gênerait dans leur vie. Je ne voulais pas les inquiéter. Du coup, ceux qui me considéraient vraiment, ça les attristait et c’est ce que je ne voulais pas. »
Avez-vous déjà essayé de demander de l’aide ?
« J’ai demandé de l’aide deux fois, et c’était parce qu’on m’y avait forcée, car je me disais que ça ne servait à rien. La première fois, c’était grâce à un ami qui avait sa mère psychologue, mais elle était un grand cadre de ce pays donc elle n’avait pas tout le temps. Donc on faisait ça par appel. Elle m’appelait pour essayer de m’aider du mieux qu’elle pouvait. La deuxième fois, c’est récent. J’étais vraiment très proche d’un suicide. J’ai une amie psychologue qui travaille déjà, qui est en fonction. Et un jour, je n’arrivais plus à supporter, j’étais à deux doigts de me suicider. Je n’ai pas réfléchi, je l’ai appelée, je suis allée la voir et c’était la deuxième fois que je demandais de l’aide. »
À quel moment avez-vous commencé à ressentir une amélioration ?
« Disons qu’après la deuxième demande d’aide, j’ai commencé à aller mieux puis c’est reparti pour un tour. Pas que j’avais mal, mais je n’étais pas heureuse, je n’étais pas contente, je vivais au jour le jour. »
Actuellement, vous sentez-vous plutôt triste ou plutôt heureuse ?
« Actuellement, je ne me sens pas triste, je me sens bouleversée. Il y a un peu de manque de confiance en soi, il y a un peu de confusion à plusieurs niveaux. Je ne suis pas triste, je suis juste confuse, je suis perdue. Mais ça va, j’ai un peu de joie pour me remonter le moral à chaque fois donc je pense que ça va. »
Quel message aimeriez-vous faire passer aux personnes qui minimisent la dépression ou qui pensent que c’est un truc de Blancs ?
« Bon déjà, il est stupide de penser que la dépression est un problème réservé aux Blancs, car la langue française que nous parlons tire ses origines de leur culture. Il est possible que le terme « blanc » les effraie. Déjà, il y a des cas qui ont été vus ici en Côte d’Ivoire dernièrement, y compris chez des étudiants studieux qui en sont arrivés au suicide. Donc, que les gens ne pensent pas que c’est quelque chose qu’on veut s’approprier des Blancs. Ils ne doivent pas minimiser ce truc parce que c’est vraiment quelque chose de dangereux. Quand ça te prend et qu’il n’y a pas quelqu’un pour t’aider, c’est la mort directe. C’est un truc super grave qui demande de l’attention et de l’aide. »
ADICO Paul
